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Champ de Bataille : le making-of, avec François Vautier

Il y a des œuvres dont on ne sort pas indemne. C’est le cas de Champ de Bataille, un film VR en prise de vue réelle qui plonge le spectateur en immersion dans l’enfer des tranchées de la Première Guerre mondiale. 

Le réalisateur, François Vautier (habitué de la réalité virtuelle avec plusieurs films à son actif : RECODING ENTROPIA, ODYSSEY 1.4.9, I SAW THE FUTURE), y convoque les souvenirs de son grand-père, un poilu qui a survécu aux horreurs de la guerre, afin de “redonner du sens à la grande histoire” et faire ressentir physiquement et émotionnellement le poids des événements. Retour sur un tournage à l’ambition hors norme.

La mémoire en héritage

Transmises par son grand-père, François Vautier se passionne très jeune pour ces photos stéréoscopiques qui préfiguraient l’ère des histoires en plusieurs dimensions et de l’immersion. Elles s’appuient sur un principe aussi simple qu’efficace : inscrire sur du verre deux prises d’une même scène à partir d’objectifs juxtaposés. Imitant ainsi la vision stéréoscopique, cela nous permet de ressentir la profondeur de champ. Inventé dès 1849, le procédé sera utilisé durant la Première Guerre mondiale par des sections de soldats-photographes chargées de relater par l’image la vie dans les tranchées et sur le front. Il retombera peu à peu dans l’oubli. Fasciné par le format, François explore ces fragments d’histoire, jusqu’à créer son propre dispositif de visionnage : “j’ai fait mes propres recherches en stéréoscopie, […] sous plein de formes, en photographie, mais aussi en vidéo, et j’ai beaucoup joué avec les artefacts, les aberrations, et les problèmes de perception que ça nous posait.”

Du stéréoscope au casque de réalité virtuelle, il n’y a qu’un pas que le réalisateur franchit. Dès 2016, il réalise ses premiers films expérimentaux en réalité virtuelle. La thématique de la “Grande Guerre” refait surface lorsqu’il découvre l’imagerie ultra-réaliste du jeu vidéo Battlefield auquel joue son fils. Il y déplore un manque d’émotion, de profondeur. Il décide de combler cela en s’appuyant sur sa maîtrise de la réalité virtuelle.

© Benjamin Hoguet
Il faut sauver le soldat VR

“Après avoir fait des films en VR classique [via des images de synthèse et de l’animation], j’avais vraiment envie de me confronter au cinéma” s’enthousiasme François Vautier. La tâche est immense, tout est encore à inventer.

Les caméras, pour commencer, sont des bijoux de technologie capables de filmer à 360 degrés. Mais elles nécessitent un lourd travail de post-production et sont à des années-lumière des caméras classiques en termes de dynamique et de résolution. “C’est étonnant d’avoir l’impression d’être à la fois à la pointe de la technologie et en même temps à la préhistoire de quelque chose”, témoigne Christophe Graillot, son talentueux directeur de la photographie. Même le choix du modèle est un challenge : “Aujourd’hui, l’offre technique de caméras est assez étroite. […] Il y a soit des gens qui font des trucs dans leur coin, soit des choses un peu plus réglées, avec des marques qui font les choses. Mais ça reste des modèles très fragiles, et dans les conditions où on les a exploités, en extérieur, dans la boue, avec les explosions, ce n’était pas évident.”

L’équipe ira jusqu’à tenter de monter son propre dispositif, avant de choisir un compromis via des solutions moins adaptées, mais déjà éprouvées. “On a envisagé de créer notre propre système, faire ce qu’on appelle un rig de caméras, avec une partie développement matériel, logiciel, et créer le workflow de postproduction derrière. On s’est fait plaisir. On l’a approché. […] Il fallait passer par là aussi, ça nous a permis de comprendre les technologies existantes, de voir quels allaient être les problèmes” précise le réalisateur.

© Benjamin Hoguet
L’art naîtrait-il de contraintes ?

Au-delà du défi technologique, la captation devient un véritable casse-tête à 360 degrés. Le hors-champ, qui d’ordinaire permet d’installer l’équipe de tournage, les lumières et autres éléments du plateau, disparaît, puisque la scène entière est susceptible d’apparaître à l’image. Le défi est de taille pour le réalisateur, contraint de diriger à distance sans forcément pouvoir intervenir comme il le souhaite sur sa mise en scène. François Vautier analyse : “J’ai fait des erreurs en début de tournage parce que je n’entendais pas et je ne voyais pas ce qui se passait. J’ai même découvert des images, des scènes, au montage. […] J’aurais voulu être sur place, dire ‘Hop, on la refait, comme ça, plus ceci, plus cela, etc.’, mais je n’ai pas eu le loisir de le faire parce que je n’étais pas là.”

Ensuite, il est impossible de se déplacer avec ces dispositifs, puisque l’opérateur apparaît inexorablement à l’écran. Sinon il faudrait appliquer de longues et coûteuses retouches. La solution, adaptée du sport de compétition par Christophe Graillot, est aussi étonnante qu’impressionnante. La caméra est suspendue via un système de câbles permettant de la déplacer et de la contrôler numériquement dans les airs. De quoi donner des sueurs froides au réalisateur. Celui qui peaufine souvent pendant plusieurs années chaque scène et mouvement de caméra,revient sur cette expérience : “Six mois avant le tournage, je me suis rendu compte qu’il y avait des effets de montage que j’avais écrits qui ne fonctionnaient pas. Alors que d’autres, qui ne me semblaient intuitivement pas pertinents, fonctionnaient très bien.”

Une expérience hors cadre

En plus de donner du mouvement à l’image, cette “Spidercam” permet de guider subtilement le spectateur, de diriger son regard. C’est particulièrement important ici, puisque la réalité virtuelle laisse au spectateur le choix du cadre. Pour le réalisateur, “parfois, en réalité virtuelle, en fiction, on peut perdre son spectateur. Si tout d’un coup, son regard est attiré par quelque chose qui se passe à ses pieds, alors qu’il y a un personnage devant qui est en train de se prendre une balle et que c’est déterminant pour la suite du récit, à ce moment-là, je l’ai perdu.” Dès que la caméra se déplace, on a naturellement envie de regarder vers l’avant, idem en plaçant celle-ci contre la tranchée ou le mur d’un baraquement. “C’est aussi un film sur la matière et sur la nature, et ça sert le récit. Mais c’est aussi comme ça que je retrouve de la mise en scène” précise l’auteur.

D’où l’importance de mettre en scène deux points de vue. Le premier adopte celui de Julien, le protagoniste principal (un soldat perdu au milieu des tranchées, des combats). Le son étouffé représente sa surdité, ajoutant encore une couche de réalisme. Le second, plus général, situe l’action à travers ces mouvements de caméra qui survole le décor et les paysages de façon omnisciente. Après 4 projets en réalité virtuelle, François Vautier connaît le format : “quand un spectateur met un casque, il va vivre quelque chose. […] Il va vivre sa propre expérience. Et c’est cela qu’on offre avec la réalité virtuelle.”. À travers les yeux du héros, on se retrouve vite pris au piège. Notre impuissance à agir sur le récit fait écho à celle du personnage principal, opérateur technique abandonné avec ses compagnons d’infortune. La spatialisation, enfin, réalisée par le sound designer Pierre-Marie Blind, qui s’harmonise avec l’environnement sonore du musicien Pascal Bantz, offre la dernière touche pour parfaire l’immersion, tout en attirant le regard vers les points clés de la scène.

© Benjamin Hoguet
Entre onirisme et transmission patrimoniale

Champ de Bataille ne se contente pas d’être une reconstitution réaliste des tranchées de la Première Guerre mondiale. François Vautier intègre une dimension onirique grâce à des éléments visuels et narratifs plus abstraits, presque fantastiques. Il joue sur la perception du temps et de l’espace. Le réalisateur capture non seulement la brutalité du moment, mais aussi la résonance psychologique et émotionnelle que ces événements laissent derrière eux. Ces passages oniriques offrent des moments de respiration bienvenus au milieu du chaos ; tout en renforçant l’idée que la guerre est une expérience traumatique qui continue de hanter ceux qui l’ont vécue, bien après le silence des armes.

Ce voyage entre réalité et abstraction se prête parfaitement à une diffusion plus large, notamment vis-à-vis des jeunes générations. C’est l’ambition de François Vautier : “je veux aussi que des gens puissent le voir en dehors d’un casque ; dans des dômes, dans des lieux immersifs. Que des familles entières puissent le voir en même temps et avoir une expérience aussi de cinéma traditionnel. Ce n’est pas complètement inconcevable.” Nul doute qu’avec l’intégration au sein du catalogue Unframed Collection et son puissant potentiel éducatif et patrimonial, Champ de Bataille a toutes les clés en main pour devenir en plus d’une impressionnante expérience narrative, un outil efficace pour sensibiliser à l’histoire et aux réalités de la guerre.

Un message d’autant plus pertinent dans le contexte des conflits modernes, un rappel troublant que les leçons de l’histoire ne doivent jamais être oubliées.

Réalisateur : François Vautier
Auteurs : François Vautier & Geoffroy Grison
Acteurs : Rod Paradot & Thimothée Robart
Musique : Pascal Bantz
Production déléguée : Jeremy Sahel – Da Prod
Coproduction : France Télévisions (Story Lab), Digital Voodooh, Kwassa film

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