En 2017, le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) créait l’événement en mettant en place le premier espace permanent muséal de réalité virtuelle. A l’occasion du lancement de cet espace, le président du Muséum, Bruno David, rappelait alors qu’il tenait « beaucoup à la matérialité des objets que l’on présente et au fait que cette expérience ne nous coupe pas de la réalité ». C’est donc avec cette ambition que le MNHN a créé le cabinet de réalité virtuelle, en écho à la richesse de ses collections. Cet article propose de revenir sur les différentes manières pour ces expériences numériques de prendre place dans un lieu physique.
1. Quelle(s) place(s) pour l’immersion dans un lieu culturel ?
L’immersion n’est pas chose nouvelle, loin s’en faut… Sans remonter à des temps antédiluviens, d’immenses peintures circulaires ont été peintes dès le XVIIIe siècle pour placer le spectateur, en son centre, dans l’illusion d’un décor reconstitué à 360°. Depuis le XVIIIe, nombreux ont été les projets et expositions mis en œuvre pour recréer des décors et des ambiances toujours plus immersives.
Pour ce qui concerne la réalité virtuelle, ce sont les années 50 qui ont permis de développer de nouveaux dispositifs favorisant un sentiment d’immersion plus total et englobant. Le Sensorama a, par exemple, été créé en 1962 par Morton Heilig pour immerger le spectateur tant par le visuel que l’auditif dans une scène filmée au préalable.
Ces recherches technologiques ont permis à certains artistes, dès les années 90, de développer des expérimentations en termes de réalité virtuelle, à l’instar de Maurice Benayoun. En 1995, le Centre Pompidou accueille alors son œuvre : le Tunnel sous l’Atlantique. Ce “tunnel” reliait les visiteurs du Centre Pompidou aux œuvres du Musée d’art contemporain de Montréal (voir l’article réalisé par Alexia Guggemos sur le sujet).
A partir des années 2000, la miniaturisation des équipements et l’augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs ont permis d’ouvrir et démocratiser les usages et l’acculturation du grand public à la réalité virtuelle (notamment par le biais du jeu vidéo – ⅔ de joueurs occasionnels au sein de la population française – source : rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique). La technologie évoluant, devenant plus répandue et abordable, de nombreuses formes d’expériences numériques immersives se sont, par conséquent, développées pour augmenter la réalité d’un visiteur, se superposer à elle ou l’immerger vers une réalité reconstituée ou fictionnelle. Ces nouvelles potentialités nécessitent alors d’envisager plus finement les liens entre lieu physique et contenus numériques.
2. Quelles articulations entre lieu physique et expériences numériques immersives ?
Ces expériences numériques immersives peuvent venir compléter un parcours de visite, enrichir la programmation dans un espace dédié, voire élargir la relation d’un lieu culturel à d’autres publics hors les murs. Elles peuvent aussi être des œuvres ou des expositions à part entière.
A. En lien étroit avec le parcours de visite
En lien avec un parcours de visite, le numérique peut contribuer à expliquer, à reconstituer des espaces ou des objets disparus ou à vivre un moment sensoriel et poétique.
En juin 2021, le Muséum national d’histoire naturelle, avec le concours du studio de création Saola, a mis en place un dispositif de réalité augmentée permanent en lien étroit, voire en superposition, avec ses collections : ReVivre. Accessible en billet couplé avec la visite de la Grande Galerie de l’Evolution, ReVivre se découvre dans la salle des espèces menacées et disparues. Aidés par deux médiateurs, les visiteurs sont invités à s’équiper de lunettes de réalité augmentée avant de déambuler en groupe dans cette salle. Aux verres de ces lunettes se superposent les images animées de ces animaux disparus (aussi vrais que nature) auxquels s’adjoint le récit de leur disparition redonnant ainsi vie à ces êtres en vitrines. Dans son rapport d’activité 2021, le Muséum fait mention de 33 000 visiteurs après 6 mois d’exploitation. Récemment, le studio Saola a développé un nouveau projet de réalité augmentée pour l’aquarium Nausicaa à (Boulogne-sur-mer).
A l’approche à la fois didactique, poétique et sensorielle, cette logique de parcours hybride entre numérique et expérience physique peut aussi avoir pour ambition de reconstituer les traces du passé.C’est dans cet objectif que le studio luxembourgeois 3WG a développé en juin 2021 avec le Mémorial de Verdun, Verdun, Paysage de guerre, paysage de paix. En lien étroit avec le site d’implantation du mémorial (sur le célèbre champ de bataille de la Première Guerre mondiale), un dispositif de réalité virtuelle permet de superposer à la vue panoramique du paysage, une lecture de celui-ci avant/pendant/après les combats. 4 casques de réalité virtuelle sont ainsi intégrés au parcours de visite et proposés en libre disposition pour réaliser cette expérience de 6 minutes.
B. En complément au parcours de visite
D’autres projets immersifs sont pertinents pour être proposés de façon temporaire ou permanente dans des espaces dédiés en lien étroit avec le positionnement culturel d’un lieu ou l’expérience de visite qui y est proposée. Depuis juillet 2021, le Paléosite de Saint-Césaire en Charente-Maritime, espace muséographique et centre d’interprétation sur la préhistoire, propose à ses visiteurs, en supplément du parcours de visite (5€ supplémentaires) une expérience de réalité virtuelle : Lady Sapiens. Coproduite par Little Big Story, Ubisoft et Francetv StoryLab sur la base des images du jeu vidéo “Far Cry Primal Ubisoft ”, et réalisée par Camille Duvelleroy, cette œuvre permet de découvrir le quotidien d’une femme au paléolithique. Pour accueillir celle-ci, un espace permanent a été aménagé avec sept postes de 9 m² chacun, équipés d’un casque VR. Deux médiateurs ont été, par ailleurs, spécialement formés à cette occasion pour accompagner les visiteurs dans cette découverte.
C. En articulation avec des expositions temporaires
Ces œuvres ou dispositifs numériques peuvent aussi s’intégrer dans le cadre d’expositions temporaires. En 2015, le metteur en scène Robert Lepage et sa compagnie Ex-Machina, ont créé une expérience virtuelle véritablement inédite, inspirée de l’ouvrage éponyme d’Alberto Manguel, pour faire un voyage fantastique en 3D au cœur de dix des plus fabuleuses bibliothèques du monde : La bibliothèque, la nuit. Installée au musée de la Civilisation de Québec en 2016 dans le cadre d’une exposition sur 7 mois avec une fréquentation d’environ 5 000 visiteurs/mois, La bibliothèque, la nuit a aussi été accueillie 3 mois en 2017 à la Bibliothèque nationale de France en lien avec une exposition valorisant les fonds et collections de la bibliothèque. Inspiré par ce projet, d’autres lieux tels que la Bibliothèque humaniste de Sélestat ont aussi conçu une exposition en lien avec cette œuvre VR (celle-ci a, d’ailleurs été présentée sans exposition attenante au Lieu Unique à Nantes dans le cadre du festival d’art numérique Scopitone). Quel que soit le format choisi par le lieu d’accueil (œuvre VR ou exposition), une scénographie des espaces a toujours accompagné le projet pour favoriser une immersion dans une ambiance de bibliothèque à la fois coutumière et étrange : tables de lecture, lampes de consultation, décor de forêts.
D. L’expérience VR comme exposition
E. Hors les murs
En lien avec l’expérience culturelle proposée dans les murs d’un établissement, des projets peuvent aussi être proposés hors les murs. C’est, notamment, l’ambition du projet VR TO Go. Le dispositif a été initialement mis en place au Québec par le Centre PHI, puis, proposé en France par le CENTQUATRE en 2021 avec l’appui de Diversion Cinéma (suivi plus récemment par le Luxembourg et la Belgique). Le principe est simple : l’établissement culturel propose à la location des casques de réalité virtuelle, généralement pour 48h, à emporter ou livrés à domicile, pour découvrir un catalogue d’œuvres de réalité virtuelle (entre 32 et 37 € la location). Lors de son déploiement, certains week-ends, les 80 casques à disposition au Centre PHI étaient loués. Cette opération a ainsi été un moyen pour le Centre PHI et les autres institutions participantes de maintenir le lien avec leurs publics mais aussi de mettre en avant des réalisations innovantes dans des domaines d’expression artistique et culturelle au-delà d’une approche uniquement physique.
Les liens entre lieu physique et dispositifs numériques sont donc particulièrement variés. Les projets d’immersion peuvent ainsi venir en complément d’un lieu pour l’interpréter, lui donner du sens ou en raconter son histoire. Ils peuvent aussi favoriser d’autres approches plus sensorielles et poétiques. Des espaces au sein de lieux culturels peuvent être dédiés à l’accueil de ce type de propositions, voire, l’aider à rayonner hors les murs, grâce à des projets comme VR to go. La nécessité de définir une politique de médiation pertinente autour de ces dispositifs de réalité augmentée/réalité virtuelle est pour autant essentielle. Ce sera l’horizon des prochains articles qui seront proposés autour de cette thématique des expériences numériques immersives.
Antoine ROLAND et Baudouin DUCHANGE