En France, le Centre des monuments nationaux a été précurseur dans l’utilisation des nouvelles technologies pour valoriser les lieux culturels de son réseau. Une démarche qui aboutit aujourd’hui à de nombreuses propositions pour ses publics : décryptage avec Abla Benmiloud-Faucher, responsable digital et innovation pour le Centre des Monuments Nationaux.
Comment le CMN a-t-il mis en place une politique d’innovation technologique et culturelle ?
Abla Benmiloud-Faucher – Au sein du Centre des monuments nationaux, je suis cheffe de mission prospective et numérique. Avec mon équipe, nous gérons l’intégralité de la transformation digitale du réseau CMN – y compris en ce moment la refonte de l’intégralité de nos sites internets, une centaine ! Côté innovation, nous pilotons l’incubateur du patrimoine (lien) qui accueille des porteurs de projet en open innovation, et nous expérimentons la création de tiers-lieux. Plus récemment, nous avons obtenu un financement via le PIA4 “Numérisation du patrimoine et de l’architecture” pour mieux valoriser les représentations numériques de nos monuments et développer de nouvelles formes de médiations, notamment à distance. C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui à la tête d’un consortium public et privé avec trois partenaires: Mira, My Tour Live et Mazedia.
Abla Benmiloud-Faucher – Dans ces démarches, et plus particulièrement le PIA4, nous nous focalisons sur la réduction de l’empreinte carbone de nos travaux. Nous sommes sur ce sujet partenaire avec la société ZenT (lien) au sein de notre incubateur, pour établir un vrai relevé de nos consommations énergétiques et identifier les points où nous pouvons réduire cette empreinte écologique.
Abla Benmiloud-Faucher – L’expérimentation numérique est pour nous multiple. Qu’il s’agisse d’univers virtuels, ou d’œuvres interactives in situ, nous nous associons en coproduction sur des expériences immersives à destination du grand public. Nous avons été parmi les premiers à expérimenter la réalité augmentée au sein d’un monument historique, à l’Abbaye de Cluny (2010). Ce parcours a d’ailleurs été revu récemment, en conservant la RA comme support : il y a une valeur d’usage forte sur place. En 2016, nous avons installé l’Histopad de la société Histovery à la Conciergerie, revisitant l’histoire du lieu. Il est désormais inclus dans le billet d’entrée. Depuis on a travaillé avec différentes start-ups comme Opuscope… La valeur ajoutée est à chaque fois évidente pour remonter le temps et donner à voir ce qui n’est plus visible.
Comment avez-vous développé les expériences VR et AR dans votre réseau ?
Abla Benmiloud-Faucher – En 2019, nous avons présenté “Terra Incognita”, une œuvre en réalité virtuelle de Mari Bastashevski au Château d’Oiron, au milieu d’une galerie Renaissance sublime. Plusieurs projets ont suivi, mais en prenant du retard à cause de la COVID. Je parle notamment des bornes Timescope, de FlyView avec Backlight, avec des visites aériennes de plusieurs monuments (à voir sur Paris), Lady Sapiens réalisé par Camille Duvelleroy (Prod. Little Big Story, Ubisoft, France Télévisions) à l’Abri du Cap Blanc en Dordogne ou Archi VR réalisé par Gordon (Prodroduit Lucid Realities, Centre des Monuments nationaux, Fondation Le Corbusier), à la villa Savoye à Poissy. Nous sommes dans une vraie phase d’expérimentation, pour mieux comprendre le potentiel en termes de médiation et de diffusion au niveau national et international.
Il est évident que l’expérience en réalité virtuelle “Archi VR – la villa Savoye” permet de mieux contextualiser la Villa Savoye (classée patrimoine mondial de l’UNESCO) pour nos visiteurs, français et internationaux. C’est un outil de médiation qui permet d’imaginer la villa à travers le temps et les saisons, ce qui n’est pas possible sur les quelques heures d’une visite classique. Et c’est évidemment un formidable complément à la découverte du lieu en lui-même !
Julia Blonce, Adjointe à l’Administratrice, Villa Savoye
Abla Benmiloud-Faucher – Archi VR, collection d’expériences immersives autour de l’architecture, est un projet auquel nous avons immédiatement dit oui ! Nous sommes convaincus que le sujet est parfait pour la réalité virtuelle. Le renouvellement du public est aussi évident, et reste un critère intéressant pour nous. Notre question aujourd’hui se fait surtout sur la diffusion d’une telle expérience. Nous ne sommes pas encore au moment où nous pourrions laisser le casque au public sans médiateur. Il nous faut alors réfléchir à des dispositifs susceptibles de financer la présence d’une nouvelle personne pour gérer le matériel, etc.
Archi VR – La villa Savoye : du 18 février au 31 août 2023 – 11h, 11h30, 14h, 14h30, 15h, 15h30 et 16h
Aujourd’hui quelles sont les œuvres présentées, notamment celle de la Villa Savoye ?
Abla Benmiloud-Faucher – Archi VR – La villa Savoye (à découvrir à la villa Savoye cette année – un lieu restauré et géré par le Centre des monuments nationaux) est une expérience proposant de découvrir le travail de Le Corbusier et Pierre Jeanneret de manière ludique. Grâce au travail de l’auteur-réalisateur Gordon, on est embarqué dans une narration et un univers très poétique. On a également la possibilité de manipuler la maquette, avant de visiter la villa virtuellement. Si aujourd’hui l’expérience VR est présentée directement dans la villa, on espère pouvoir la faire tourner à l’international et faire la promotion du monument. Mais nous ne faisons que débuter l’exploitation, j’espère partager prochainement quelques retours et chiffres-clés. C’est primordial d’analyser nos premières démarches pour fluidifier la diffusion, notamment dans la gestion des ressources humaines et la formation au numérique …
Nous avons travaillé étroitement avec les équipes de Lucid Realities et la fondation Le Corbusier pour exploiter, notamment, les archives existantes. Et il y en a beaucoup ! Guidé par le Centre des Monuments nationaux au moment de la production, nous sommes restés dans une discussion avec l’équipe artistique pour assurer la qualité des représentations de la villa et des contenus pédagogiques associés. Pour autant, Archi VR est une œuvre joyeuse et ludique qui permet de découvrir Le Corbusier et l’architecture, que l’on soit expert ou non.
Julia Blonce, Adjointe à l’Administratrice, Villa Savoye
Abla Benmiloud-Faucher – Dans le même temps, nous avons voulu tester l’expérience Lady Sapiens dans différents lieux, et voir s’il y avait un impact sur la diversification de nos publics. Côté fréquentation, c’est évidemment complémentaire. L’expérience est clairement adaptée aux lieux dédiés à la Préhistoire. On doit encore faire énormément de pédagogie, notamment pour nos équipes, les rassurer sur le fait que la VR ne vient pas remplacer la médiation existante mais la compléter. De même, pour bien commercialiser ses expériences, il faut pouvoir les intégrer au ticket d’entrée.
Abla Benmiloud-Faucher – Enfin, nous avons également testé un partenariat avec un exploitant VR pour maximiser la diffusion d’expériences VR, et c’est là qu’intervient FLYVIEW à Paris. L’ADN du Centre des monuments nationaux est d’expérimenter; avec un enjeu ensuite de mutualiser les solutions trouvées pour plusieurs lieux de notre réseau. C’est une opération avec des objectifs de communication intéressants pour nous à travers la mise en avant de certains monuments moins connus que d’autres). Techniquement, ça a été aussi un enjeu d’utilisation du “temps réel” sur la base d’une numérisation du Mont-Saint-Michel. On espère ainsi pouvoir réutiliser certains assets sur plusieurs projets, améliorer l’immersion, etc.
Est-ce évident d’intégrer des œuvres immersives au sein de vos établissements ?
Abla Benmiloud-Faucher – Nous constatons que le public du CMN est souvent en découverte de la réalité virtuelle ou augmentée, avec la prise en main d’une première expérience chez nous. L’adoption et la satisfaction sont au rendez-vous, c’est évident, même s’il faut nuancer entre les deux formats. La réalité augmentée a encore énormément d’avance, en termes d’usage et de maturité – notamment si on y inclut les réseaux sociaux. Nous restons sur des propositions essentiellement payantes (avec des tarifs de quelques euros très abordables), pour des raisons évidentes de fonctionnement. La réalité augmentée est maintenant “industrialisée” au CMN notamment via notre marché d’audioguides. Concernant la réalité virtuelle, nous restons sur une démarche d’expérimentation, qui a besoin de se consolider dans nos prochains projets. L’objectif est d’améliorer l’accueil de ces propositions interactives inédites, au-delà d’un gimmick technologique, et donc de trouver un vrai modèle répondant à nos critères de qualité.
Abla Benmiloud-Faucher – Notre stratégie est la mise en avant de nos monuments. Avec cette idée en tête, il nous faut définir un modèle de diffusion et de rentabilité en tant que coproducteur, puisque nous partageons les recettes avec les producteurs. C’est dans ce sens que l’avenir des œuvres immersives, au sein d’un réseau comme le CMN, est potentiellement vers les expositions de grande envergure comme les expéditions immersives d’Emissive (Eternelle Notre-Dame…) qui nous semblent particulièrement pertinentes. Pour aller à la rencontre du public dans des tiers-lieux et au niveau international, il faut augmenter les jauges d’accueil. Là-aussi, notre rôle premier est d’accompagner, et de tester, avant d’imaginer déployer un vrai modèle dans notre réseau. Nous avons d’ailleurs un projet avec Fabien Barati et ses équipes, en cours de financement pour un monument du côté de Carcassonne.