Situé au cœur de Cardiff depuis 2004, le Wales Millennium Centre est le plus grand centre artistique du pays de Galles et l’un des lieux culturels les plus emblématiques du Royaume-Uni. À la fois théâtre, salle de concert, espace d’exposition et pôle créatif, il s’est imposé comme un acteur majeur de l’innovation dans le spectacle vivant et les nouvelles formes de narration, avec un intérêt particulier pour les technologies immersives.
David Massey, Senior Producer for Creative Technology and Storytelling, est au premier plan de ces développements. Acteur reconnu du secteur immersif, il conçoit des programmations audacieuses et prospectives qui ont fait du Wales Millennium Centre un rendez-vous incontournable pour les œuvres narratives en XR. Il a également supervisé la création de Bocs, un espace entièrement dédié aux contenus immersifs, inauguré en 2022. Tant d’initiatives qui visent à rendre ces formats accessibles à un large public tout en soutenant les artistes et studios internationaux dans la diffusion de leurs créations.
Pouvez-vous présenter le Wales Millennium Centre et votre rôle au sein de cette structure ?
David Massey : Je suis Senior Producer et Curateur, spécialisé dans les technologies créatives et le storytelling. Je travaille au Wales Millennium Centre, où nous accueillons des expériences immersives depuis trois ans. Concrètement, cela signifie que nous collaborons avec des studios et des artistes internationaux pour présenter des œuvres interactives et immersives dans différents espaces de notre structure, dont un espace dédié : Bocs.
Le Wales Millennium Centre propose une programmation immersive : quels types d’œuvres présentez-vous, et quels sont vos critères de sélection sur le plan thématique et technique ? Quel rôle joue la XR dans cette programmation ?
D. M. – La XR occupe une place centrale dans notre programmation. On peut dire que nous sommes devenus une destination de référence pour la réalité virtuelle et la réalité mixte. Nous sommes véritablement enthousiastes face à la diversité des récits et des formats qui émergent grâce aux moteurs de jeu et aux nouvelles technologies. Les œuvres que nous présentons sont toujours construites autour de la narration, souvent réalisées en réalité mixte, augmentée ou virtuelle. Nous avons bâti notre réputation sur cette ligne éditoriale et nous sommes convaincus qu’elle ouvre la voie à de nouvelles manières d’explorer la performance, l’art et les récits.
D. M. – Jusqu’ici, nous avons adopté une approche assez ouverte. Nous veillons souvent à ce que notre programmation immersive fasse écho à d’autres activités du bâtiment. Par exemple, nous avons récemment présenté “Impulse: Playing with Reality” d’Anagram (coproduit par Floréal et France Télévisions), une œuvre sur le TDAH. En parallèle, dans notre café principal, nous avons exposé des œuvres réalisées par des prisonniers neuroatypiques, en collaboration avec notre community team. Il existe donc souvent un lien entre les différents volets de notre programmation. Mais nos critères fondamentaux restent les mêmes : donner un lieu d’expression à des voix nouvelles ou peu entendues, proposer une narration forte et utiliser les technologies immersives de manière convaincante.
Pouvez-vous citer quelques exemples d’œuvres immersives ou XR que vous avez programmées ? Cet été, vous présentez Monsieur Vincent en VR – qu’est-ce qui vous a séduit dans cette œuvre, et pourquoi l’avoir intégrée à votre programmation ?
D. M. – Nous avons probablement présenté certaines des meilleures œuvres immersives de la scène mondiale. Nous avons collaboré avec des figures majeures du secteur – comme Anagram, A-Bahn, Blast Theory, East City Films, Novaya – ainsi qu’avec des artistes et studios indépendants désireux d’atteindre un large public. Nous entretenons également d’excellentes relations avec des distributeurs comme Astrea, que nous avons soutenus notamment dans leur stratégie LBE (location-based entertainment).
D. M. – Concernant “Monsieur Vincent” d’Agnès Molia et Gordon (coproduit par Lucid Realities, TSVP, le musée d’Orsay et VIVE Arts), nous recherchons toujours des œuvres accessibles au plus grand nombre. “Monsieur Vincent” est une très belle œuvre, qui à mon avis suscitera l’intérêt d’un public intergénérationnel, notamment grâce à son sujet : Van Gogh. Bien sûr, de nombreuses expériences immersives se sont déjà inspirées de Van Gogh, mais celle-ci est unique. Le narration et le récit sont au cœur de ce qui constitue finalement une lettre d’amour interactive et poétique à Van Gogh, centrée sur l’un des derniers modèles qu’il a peints. Le public est littéralement invité à entrer dans ses tableaux et à interagir avec eux. J’ai hâte de voir comment les visiteurs vont se l’approprier. Cette présentation nous permettra aussi de faire découvrir d’autres œuvres moins connues à notre public.
© Wales Millenium Centre
En 2022, vous avez lancé Bocs, un espace entièrement dédié à la XR. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa conception, son aménagement, et la manière dont vous avez relevé les défis techniques et d’accessibilité ?
D. M. – Bocs est né de discussions avec des studios et des artistes spécialisés dans les médias immersifs et interactifs qui peinaient à présenter leur travail en dehors des festivals. Il était évident qu’une institution comme la nôtre devait offrir un espace de diffusion adapté à leurs ambitions. C’est ce qui a motivé la création de Bocs.
D. M. – Pour le concevoir, nous avons mené une concertation approfondie avec des artistes interdisciplinaires travaillant avec les nouvelles technologies. Une idée clé en est ressortie : il fallait créer un espace flexible, capable de s’adapter à l’évolution rapide des technologies narratives. Nous avons donc conçu une sorte de boîte noire modulable que nous adaptons à chaque nouvelle installation en étroite concertation avec les artistes.
D. M. – Nous envisageons aujourd’hui d’élargir notre offre en investissant des locaux commerciaux adjacents pour renforcer notre soutien au secteur et répondre à la demande croissante. Bien sûr, présenter des œuvres immersives sous la forme d’exposition quotidienne soulève encore des défis ; mais les artistes ont énormément progressé, tant sur le plan technique qu’en matière d’accessibilité. De notre côté, nous veillons à ce que la circulation du public dans l’espace soit fluide et que les œuvres soient accessibles, un enjeu encore prépondérant pour la XR.
Comment cette programmation immersive – et plus largement, l’intégration des formats numériques – s’articule-t-elle avec l’ensemble de l’offre du Wales Millennium Center, notamment les productions scéniques ? Avez-vous pu créer des passerelles entre physique et virtuel ?
D. M. – Notre mission est de produire et soutenir la création d’œuvres nouvelles. Cela suppose aussi d’explorer de nouveaux formats. Les artistes cherchent naturellement à utiliser des outils narratifs innovants, et les technologies immersives en font pleinement partie. Nous réfléchissons activement à la manière d’intégrer ces formats à notre programmation globale.
D. M. – Par exemple, nous soutenons des résidences de recherche et développement pour artistes, où nous leur proposons de découvrir ces outils dès les premières étapes de leur processus créatif. Notre objectif : développer des productions hybrides qui articulent formes et technologies au service du récit. Nous construisons actuellement un nouveau lieu, juste en face du Wales Millennium Center, qui accueillera à la fois des expériences immersives et des productions scéniques commerciales, ainsi qu’un studio expérimental dédié aux technologies émergentes comme la XR.
D. M. – Créer des passerelles entre physique et virtuel est un travail de longue haleine. À Bocs, nous collaborons avec des designers pour créer un environnement physique cohérent, dès l’arrivée du public, avant même qu’il mette un casque. Je n’aime pas trop les termes “onboarding” et “offboarding” – je préfère une approche holistique qui place le spectateur au centre. Nous formons notre équipe pour qu’elle soit partie intégrante de l’expérience, afin que chaque visiteur se sente à l’aise. Beaucoup viennent seuls : c’est essentiel de créer un espace accueillant, propice à l’échange entre visiteurs et avec l’équipe.

Vous avez affirmé que « l’exploration de nouveaux récits permettra à davantage de personnes de se connecter à des histoires, autrement ». Quel rôle jouent les expériences immersives dans votre stratégie de développement et de diversification des publics ?
D. M. – Les expériences immersives jouent un rôle clé dans l’élargissement et la diversification de notre public. Depuis le lancement de Bocs il y a trois ans, nous avons collecté des données intéressantes. Par exemple, environ 29 % des visiteurs de Bocs n’étaient jamais entrés dans le bâtiment auparavant – ce chiffre est considéré comme un succès. Nous constatons également un rééquilibrage des genres et une augmentation des publics issus des communautés noires et asiatiques. Il est clair que notre programmation immersive est perçue comme une véritable invitation.
D. M. – Les publics évoluent naturellement – les nouvelles générations explorent d’autres façons de vivre l’art, la performance et les technologies. Ces formes de récit, souvent personnelles et interactives, leur parlent davantage. Dans de nombreuses œuvres immersives, le public devient acteur de l’histoire, ce qui renforce l’engagement et la connexion, là où les formats plus traditionnels peuvent parfois échouer.
En parlant du potentiel inclusif de la XR, pouvez-vous nous parler de votre partenariat avec le Ida Network ? Envisagez-vous de développer d’autres collaborations dans le secteur ?
D. M. – L’un des aspects les plus enthousiasmants de ce secteur est la force de sa communauté. Il s’agit d’un réseau international très connecté, ouvert et inclusif, qui soutient vraiment les artistes explorant la création technologique. Nouer des partenariats solides est au cœur de notre démarche et Ida Network en est un très bon exemple.
D. M. – Nous cherchons à créer une communauté – autour de nos espaces, de la création et des conversations que ces œuvres suscitent. IDA a joué un rôle essentiel dans cette dynamique. Grâce à l’équipe exceptionnelle – Léah, Victoria, ainsi que notre équipe galloise Abi et Beau – nous avons découvert des artistes que nous ne connaissions pas, qui expérimentent avec de nouveaux langages et de nouvelles technologies. Ida contribue aussi à réduire les inégalités de genre dans ce secteur, en créant un espace sûr pour les femmes, personnes non binaires et trans, afin qu’elles puissent se sentir à l’aise dans leur rapport à la création et aux autres.
D. M. – Je suis très enthousiaste face aux collaborations à venir. Je suis fier d’être un allié, et je soutiens pleinement le travail remarquable mené par Ida. Nous sommes toujours prêts à collaborer avec d’autres structures pour accompagner la nouvelle génération de créateurs et le futur de la XR.