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Rencontre avec Nicolas Merens – ExpyFest & ExpyLab

Directeur d’ExpyFest et d’ExpyLab
 

Tout cela témoigne d’une véritable effervescence de l’écosystème immersif latino-américain, avec des festivals, des laboratoires, des réseaux et des initiatives en pleine croissance. C’est extrêmement stimulant et encourageant pour l’avenir de la création immersive dans la région.

NICOLAS MERENS,

Depuis 2021, ExpyLab occupe une place croissante dans le paysage immersif du Paraguay. Né d’une collaboration entre l’Alliance Française d’Asunción et un groupe pionnier de créateurs en réalité virtuelle – à l’origine notamment d’Opus VR, premier film en vidéo 360 produit dans le pays – le programme répond à un besoin identifié très tôt : structurer un environnement favorable à l’émergence de projets XR dans un territoire où cette pratique restait encore marginale.

Entièrement gratuit pour les artistes sélectionnés, ExpyLab se présente comme un laboratoire d’apprentissage, de création et d’insertion  professionnelle, permettant aux participants de développer des œuvres immersives tout en bénéficiant d’échanges avec des experts latino-américains et internationaux. En parallèle, ExpyFest contribue à inscrire ces initiatives dans une dynamique plus large de circulation, de visibilité et de coopération régionale.

À l’occasion de la cinquième édition du programme, Nicolas Merens, directeur d’ExpyFest et d’ExpyLab, revient sur l’évolution du laboratoire, les enjeux auxquels il répond et les ambitions qui accompagnent son développement au sein de l’écosystème XR latino-américain.

Expy Fest 2025 © Alberto Nuñez
Cette année marque la cinquième édition d’ExpyLab. Quels sont, selon vous, les résultats et impacts les plus marquants après ces cinq années ?

Nicolas Merens : ExpyLab est un projet qui a grandi au fil de ses cinq années d’existence. En 2021, nous avons attribué 10 bourses, puis 15 en 2022, 20 en 2023, 21 en 2024 et 22 en 2025. Nous avons ainsi réussi à nous développer et à accompagner un nombre croissant de projets artistiques.

Dès 2022, nous avons aussi pu proposer des prix importants, comme une résidence au NewImages Festival, grâce à l’invitation de Claudia Montes et au partenariat que nous avons pu construire. À partir de 2023, un premier artiste est parti à Paris, puis nous avons offert une résidence en Équateur, une autre en Colombie, ainsi que des stages rémunérés à Buenos Aires. Aujourd’hui, nous avons également une résidence en Allemagne.

Ce qui est le plus important pour nous, c’est d’avoir réussi à positionner ExpyLab dans le paysage international de l’immersif, et d’avoir noué des collaborations solides avec des institutions qui, encore aujourd’hui, offrent de réelles opportunités aux artistes. C’est une dimension qui nous tient énormément à cœur : cette croissance, ces alliances, et surtout cette dynamique de partage qui fait partie de la philosophie centrale d’ExpyLab.

Nous sommes très heureux de constater que des projets continuent à se développer. Des projets qui ont commencé au sein d’ExpyLab bénéficient aujourd’hui de financements ou de coproductions internationales ; d’autres sont même déjà finalisés et ont été présentés publiquement.

Par ailleurs, nous avons élargi notre approche : nous sommes passés de la création de projets en réalité virtuelle et augmentée à l’exploration d’un large éventail de nouveaux formats immersifs – LBE, expériences audio, projets mêlant animation et prise de vue réelle, entre autres. Il y a donc aussi une véritable croissance au niveau de la créativité et de la diversité des formats travaillés au sein du laboratoire.

Installation dôme au Expy Fest 2025 © Alberto Nuñez
Quels sont vos objectifs et vos ambitions pour l’avenir du programme, aussi bien au Paraguay qu’en Amérique latine ?

N. M. – Nous avons beaucoup d’ambition, mais notre priorité aujourd’hui est d’élargir les bourses, afin qu’elles ne soient plus destinées uniquement aux artistes du Paraguay. Nous souhaitons pouvoir en offrir également à d’autres pays d’Amérique latine, voire à l’ensemble de l’Ibero-Amérique. C’est pourquoi nous avons présenté ExpyLab au programme Ibermedia : nous espérons obtenir une réponse positive cette année – sinon l’année prochaine – pour pouvoir, dès les prochaines éditions, attribuer des bourses à des artistes d’autres pays.

L’idée est vraiment de favoriser un espace de création latino-américain, et de renforcer nos liens avec de nouveaux alliés internationaux, en Europe, en Amérique du Nord, en Asie et ailleurs dans le monde, afin de développer davantage de résidences internationales. Et nous aimerions qu’un jour le Paraguay devienne également un lieu de résidence pour des artistes internationaux. Par exemple, si un artiste paraguayen part en résidence en France, nous aimerions pouvoir accueillir également un artiste français au Paraguay dans le cadre d’un échange.

Notre deuxième grande ambition est donc de créer un espace de travail dédié à ces résidences, un lieu permanent, disponible toute l’année. Cela permettrait à ExpyLab, installé au Paraguay, au cœur de l’Amérique latine, de devenir un véritable hub de création immersive.

Quels défis spécifiques rencontrent les artistes XR en Amérique latine et comment ExpyLab tente-t-il d’y répondre ?

N. M. – Le défi le plus important, c’est le financement. Tout au long d’ExpyLab, nous avons constaté une créativité exceptionnelle et un potentiel remarquable chez les artistes, mais ce potentiel est souvent freiné par le manque de ressources financières. Les processus deviennent alors beaucoup plus longs : par exemple, une œuvre commencée en 2022 commence seulement aujourd’hui à obtenir ses premiers financements.

Face à cette réalité, il est essentiel de travailler de manière collective. C’est pour cela qu’à ExpyLab, nous mettons la création collaborative au centre. Les artistes arrivent sans forcément se connaître, et en seulement deux semaines, ils doivent former des groupes et créer ensemble un prototype. C’est vraiment l’union qui fait la force : ils parviennent à développer des projets en un temps très court, puis l’objectif est qu’ils puissent poursuivre le développement par la suite.

En tant qu’ExpyLab, nous continuons également à les accompagner après le laboratoire. Nous assurons un suivi totalement ad honorem : lorsque les artistes ont besoin d’un conseil pour présenter un dossier de financement, de matériel pour une étape de production, ou d’être mis en relation avec des institutions ou des professionnels, nous les aidons. Nous tentons vraiment d’être une plateforme de collaboration, afin de faire face à ce manque de financement, d’éviter que les projets ne s’arrêtent et d’ouvrir de nouvelles possibilités pour qu’ils puissent voir le jour.

Pourriez-vous nous communiquer votre vision du marché XR en Amérique latine ? Voyez-vous des acteurs – créateurs et diffuseurs – émerger ?

N. M. – Je sens vraiment qu’en Amérique latine, il y a des projets extrêmement intéressants. Sur le plan narratif, ce sont des œuvres qui racontent des histoires avec une véritable voix : une voix latino-américaine, reconnaissable, porteuse d’un style propre et d’un esprit profondément collectif. Beaucoup de projets abordent des thématiques communautaires, sociales, culturelles, et chaque année, des créateurs et créatrices de la région représentent l’Amérique latine dans des espaces internationaux. La diffusion des œuvres latino-américaines s’étend de plus en plus à travers le monde, et il est très motivant de constater que cette création trouve aussi une véritable réception à l’échelle internationale. Cette année, avec ExpyFest, nous en avons eu une démonstration très claire : nous avons accueilli des invités de Colombie, d’Équateur, du Pérou, du Chili, d’Argentine et du Brésil. Chaque représentant, chaque organisation, a montré un engagement réel pour l’expansion de l’industrie XR latino-américaine, toujours avec un esprit collaboratif très marqué.

On observe aujourd’hui des acteurs clés dans la région : en Colombie avec Narrar el Futuro ; au Pérou avec Asimetría ; en Équateur avec plusieurs universités, le VR Day et aussi Mediamorfosis ; en Argentine avec Virtuality et Ventana Sur Tech – qui est pratiquement le “Cannes” latino-américain et qui dispose désormais d’un espace tech et d’une sélection immersive ; au Chili avec la Biennale Medial, Mediamorfosis et d’autres espaces de création très actifs ; et au Brésil avec le São Paulo Curta Festival. On trouve également des festivals régionaux très importants, comme Multiversos à Misiones, en Argentine – un festival autogéré d’une grande qualité – ainsi que divers laboratoires et plateformes qui émergent un peu partout.

Tout cela témoigne d’une véritable effervescence de l’écosystème immersif latino-américain, avec des festivals, des laboratoires, des réseaux et des initiatives en pleine croissance. C’est extrêmement stimulant et encourageant pour l’avenir de la création immersive dans la région.

Cette année, vous avez lancé un appel à projets pour l’ExpyFest. Quels types de projets cherchez-vous particulièrement pour la programmation de 2025 ?

N. M. – Cette année, pour la première fois, nous avons lancé un appel à projets ibéro-américains en XR. Il était ouvert à tout type de projet immersif ou interactif, intégrant de nouvelles façons de raconter des histoires dans l’audiovisuel. Nous recherchions des projets innovants, mais surtout une innovation au niveau de la narration : plus encore que l’innovation technologique, c’était la manière de raconter, la façon d’utiliser les médias pour créer des œuvres originales et audacieuses, qui nous intéressait.

Comment voyez-vous l’évolution du festival ExpyFest et quel rôle souhaitez-vous qu’il joue dans la scène immersive latino-américaine ?

N. M. – Toujours en lien étroit avec ExpyLab, l’idée d’ExpyFest est de renforcer ce hub créatif. Le festival se veut un espace de connexion, un lieu où les artistes locaux peuvent rencontrer des artistes internationaux, et un point de convergence entre les œuvres latino-américaines et celles du reste du monde. C’est vraiment l’ambition que nous portons avec ExpyFest : qu’il puisse ouvrir de nouveaux appels à projets et offrir également des résidences et des sections d’industries autour du festival afin de favoriser les échanges avec d’autres espaces internationaux.

Vous avez accompagné de nombreux artistes émergents dans le cadre d’ExpyLab. Y a-t-il une réussite ou un parcours qui vous a particulièrement marqué ?

N. M. – Oui, l’un des projets qui m’a le plus marqué est Tiflo Maze de Carlitos Cañete, un artiste aveugle. En 2022, il avait présenté une pièce de théâtre intitulée Recientemente Cielo, qu’il a ensuite adaptée en un récit immersif. Cette adaptation est devenue aujourd’hui une expérience immersive interactive, soutenue par l’université Johns Hopkins, qui a remporté plusieurs prix internationaux, notamment lors de pitchs, et qui bénéficie désormais d’un financement conséquent du ministère de la Technologie du Paraguay pour avancer sur la production. C’est un projet extrêmement ambitieux, qui permettra de vivre une expérience immersive aussi bien aux personnes voyantes qu’aux personnes non voyantes.

Tiflo Maze de Carlitos Cañete

Il y a également le projet ¿Querés conocer el mar ? de Jazmin Cebé, conçu pendant ExpyLab 2023, finalisé en 2024 et présenté à l’Institut Allemand au Paraguay. C’est une installation immersive qui propose un voyage vers la mer – dans un pays comme le Paraguay, sans accès à l’océan.

Jazmín Cebé presenta la muestra « ¿Querés conocer el mar ? ». Foto: ICPA

Il y a aussi l’expérience immersive sonore Q’chaichale de Mateo Sobode Chiqueno, un artiste autochtone ayoreo du nord du Chaco paraguayen, réalisée en collaboration avec l’artiste Nara Garcia.

Enfin, si vous deviez inviter un·e jeune créateur·rice à rejoindre ExpyLab ou à postuler à ExpyFest, quel message ou conseil aimeriez-vous lui transmettre ?

N. M. – Que dans cette industrie, nous allons très souvent recevoir des “non”. Qu’il faut transformer ces “non” en motivation, en création, en pensant en collectif pour dépasser les limites.

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