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Le Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain est un des lieux de curation des nouvelles formes de création, ancré dans un pays certes petit en taille, mais particulièrement dynamique en termes d’exploration des narrations innovantes. L’immersif est l’une des tendances explorées par le Casino Luxembourg et son directeur artistique, Kevin Muhlen.
Le Casino Luxembourg, 25 ans d’expositions
Kevin Muhlen – Le Casino Luxembourg est un centre d’art contemporain fondé en 1996, à la suite d’une année d’expositions au Luxembourg, capitale européenne de la culture l’année précédente. Comme d’autres lieux dédiés à l’art contemporain, nous travaillons autour d’expositions temporaires, sans collection dédiée ni vocation patrimoniale particulière. Notre objectif est double : accueillir et présenter les artistes, leurs créations, mais aussi participer au débat sur la place de l’art contemporain et autres formes artistiques (visuels, plastiques, numériques…). Nous proposons aussi un espace de recherche artistique, comme peuvent le faire des écoles d’art.
Kevin Muhlen – Sur les 25 années qui viennent de s’écouler, les formes d’expression artistique ont beaucoup évolué. Il nous a fallu suivre ces évolutions, le travail rapproché avec les artistes, la mise en avant des projets. C’est dans ce cadre-là que nous avons pu appréhender les nouvelles technologies, et en particulier l’immersion. De manière générale, le numérique a toujours fait partie de notre ADN. Il y a ici un potentiel qui nous intéresse, des possibilités que les artistes ont envie d’explorer, et tout un ensemble d’œuvres innovantes qui attisent la curiosité du public de façon évidente. Le Casino Luxembourg participe ici au soutien d’une filière artistique en construction, à l’image de nombreuses institutions passionnées par ces sujets.
Quelle place pour la XR au sein de la création moderne ?
Kevin Muhlen – Il y a quelques années tout le monde avait une réelle fascination pour la réalité virtuelle. Nous avions envie de creuser le sujet artistique avec ces nouveaux médiums, de rencontrer des artistes assez jeunes. Nous avions dédié une salle à la réalité virtuelle, en essayant d’offrir une vraie place à ces nouvelles créations, en interrogeant le Luxembourg FilmFund sur ce qui existait, etc. Mais ce focus nous a amené dans une impasse, car il ne fallait pas s’intéresser à la technologie en premier ! Nous avions créé nos propres limites, ce qui ne permettait pas d’accueillir l’intégralité des œuvres. Finalement, il ne fallait pas que notre programmation soit dictée par la technologie.
Si le côté spectaculaire du médium a pu faire passer au second plan la proposition artistique, la VR est aujourd’hui à aborder par le prisme du sensible. Un nouvel horizon…
Kevin Muhlen – C’est en se libérant de ce carcan technologique, en oubliant la question du dispositif pour se focaliser sur les œuvres, que nous avons senti plus de possibilités dans l’insertion de l’immersion au Casino Luxembourg. Et nous avons précisé nos envies, avec des artistes que nous connaissions, comme Rachel Maclean et ses premières expérimentations en réalité virtuelle qui reflètent parfaitement son travail d’artiste ; Rachel Rossin et son approche très picturale en tant qu’artiste new media ; ou encore Eva L’Hoest, Karolina Markiewicz & Pascal Piron… Grâce à certains d’entre eux, nous avons pu mieux appréhender l’écosystème grandissant de la XR, les événements ou festivals, les enjeux, et identifier des problématiques nouvelles. Nous les avons intégrés pour que le Casino Luxembourg accueille au mieux ces nouveaux artistes.
Comment intégrer ces formes de création émergentes à une programmation ?
Kevin Muhlen – La scène immersive est aujourd’hui bien constituée. Si nous accueillons en 2023 des projets comme ENDODROME de Dominique Gonzalez-Foerster, c’est pour l’idée de présenter une œuvre aboutie qui réfléchit aux enjeux de la VR et son inscription dans un curriculum plus ancien. Je m’intéresse bien sûr aux nouveautés, y compris dans les écoles, et je suis très curieux des nouvelles façons d’appréhender ces nouvelles technologies. Mais oui, l’immersion en général est un courant artistique qui s’assume totalement, avec une vraie démocratisation des outils de création notamment. La VR devient accessible pour de jeunes artistes, comme ceux déjà connus.
Kevin Muhlen – Du côté logistique et technique, les choses ont bien évolué. Il est désormais facile d’accueillir des artistes et leur dispositif immersif, quelqu’en soit le support. Néanmoins notre équipe peut être très sollicitée sur la médiation et la mise à jour des équipements, alors qu’elle gère l’intégralité des expositions. Il reste encore une marge de progression dans le quotidien des présentations, avec des modalités de diffusion à envisager (une fonction “autostart” pour les films VR…). Mais à chaque exposition, nous voyons des progrès et tout doit être fait pour que le confort du public soit optimum.
Endodrome est la première œuvre d’art en réalité virtuelle de l’artiste Dominique Gonzalez-Foerster. Officiellement sélectionnée dans le cadre de l’exposition principale de la 58e Biennale internationale d’art de Venise « May You Live in Interesting Times », cette expérience porte un titre qui est dérivé du mot grec endon, qui signifie « en-dedans », et dromos, qui signifie « course » ou « piste de course ». Endodrome poursuit l’exploration des notions d’espace, d’états de conscience alternatifs et d’intériorité. L’expérience peut être vécue par cinq personnes à la fois, via un dispositif théâtral suggérant l’expérience d’une séance de spiritisme, intégrant le son, la lumière et les projections des visions que les spectateur·rice·s expérimentent dans les casques VR.(+ d’informations)
Comment bien présenter ces œuvres au public ?
Kevin Muhlen – Il faut penser la présentation des œuvres VR en fonction du lieu, et de la situation. En festival ou en exposition traditionnelle, les besoins ne sont pas les mêmes. J’espère pouvoir présenter d’autres formats comme la réalité augmentée, même si je n’ai rien vu pouvant s’intégrer dans notre programmation à ce jour. Je ne veux pas céder à la mode au détriment des conditions d’accueil et de projection pour le public : c’est pourquoi nous sélectionnons nos œuvres désormais avec ces critères en tête.
Kevin Muhlen – L’industrie immersive avance très vite, et je n’ai aucune inquiétude sur le fait qu’on dépassera rapidement les aspects matériels pour se concentrer sur les œuvres. On note un fort intérêt du public, en recherche de nouveauté, et c’est ça qui est important. Notre rôle est aussi d’être le modérateur de ces découvertes, pour ne pas décevoir. La prouesse technologique est souvent synonyme de spectaculaire : l’art contemporain est plus sensible que cela, et ne choisit pas forcément les éléments les plus étonnants de ces immersions. Il y a des choix d’auteurs-rices qui fabriquent de vrais objets artistiques, et il faut guider ces choix.
Kevin Muhlen – Heureusement, on voit aussi le public apprivoiser bien mieux ces environnements virtuels. La réalité virtuelle est un médium qui touche à l’intime, à la perception du monde autour de nous. C’est un rapport finalement assez personnel à la création qui va s’imposer, avec un regard forcément subjectif à la fin.
Comment organiser la circulation des œuvres ?
Kevin Muhlen – La scène artistique immersive est encore récente, et le réseau de diffusion autour de l’art moderne reste embryonnaire. Pour autant, des lieux comme le Centre PHI à Montréal se sont imposés – même si chacun conserve un regard et une programmation spécifiques. Il faut que nous travaillions la complémentarité entre les lieux culturels pour accompagner au mieux les créateurs-rices des industries visées. Sentir une filiation entre une œuvre artistique et l’emploi des nouvelles technologies, trouver du sens dans chaque démarche sensible, pouvoir l’inscrire dans le courant de l’art contemporain, c’est un peu cela notre credo au Casino Luxembourg.