Cet article est la synthèse d’une série en 7 volets sur la réalité virtuelle dans les musées proposée par la plateforme UNFRAMED COLLECTION.
Qu’apporte une expérience immersive aux visiteurs et aux lieux culturels ?
Le public qui sort de The Enemy n’a pas l’impression d’avoir vu un film. Il a bel et bien le sentiment d’avoir rencontré des personnes.
Karim Ben Khelifa, réalisateur-photographe de l’expérience VR The Enemy (source)
Pour 41% des visiteurs ayant déjà expérimenté la réalité virtuelle, l’apport de l’immersion est d’ordre sensoriel, émotionnel et collectif. La reconstitution d’un espace physique et la sensation d’interaction participent toutes deux au développement d’un lien émotionnel à l’histoire racontée ainsi qu’à la création de sentiments et d’émotions complémentaires à celles qu’éprouvent déjà physiquement un visiteur de lieu culturel. Des expériences qui permettent de partager des réalités vécues par des personnages (ex. la perte de la vue avec Notes on Blindess, le quotidien d’un migrant avec Meet Mortaza, de prisonnier avec Reeducated ou de combattants avec The Ennemy…) ou de transmettre les grands enjeux mémoriaux (ex. Anne Frank House VR, Verdun – paysage de guerre – paysage de paix, StoryTrails…). En grande majorité (67%), l’expérimentation de ces dispositifs immersifs par des visiteurs a été réalisée de manière collective dans des lieux publics. Ces moments partagés peuvent se faire autant avec des expériences en déambulation libre (ex. Éternelle Notre-Dame, We Live in an Océan of Air, -22,7°…) ou par des expériences collectives personnalisées (ex. Mechanical Souls, Le Bal de Paris, Fugue VR…)
→ Pour en savoir plus, lire notre article QUELLES ÉMOTIONS APPORTENT UNE EXPÉRIENCE VIRTUELLE ?
Les médias immersifs sont des formes de médiation qui permettent de sensibiliser nos publics et de les engager pour la préservation de la nature.
Stéphanie Targui, cheffe du service des contenus numériques au MNHN (source)
21% des 200 établissements culturels interrogés dans le cadre du Baromètre de l’Innovation des Musées 2021 ont actuellement recours à la réalité virtuelle. Une tendance appelée à s’accroître puisque 33% de ces 200 établissements ont également des projets VR en cours qui seront accessibles dans les prochains mois. De nombreux projets enrichissent désormais la ligne éditoriale d’une diversité de lieux patrimoniaux et de spectacle vivant, ainsi que leurs possibilités de médiation.
Des institutions scientifiques utilisent par exemple les nouvelles technologies pour renouveler leurs approches de médiation en reconstituant des environnements inaccessibles (ex. -22,7° pour l’Arctique à la SAT, Ayahuasca Kosmik Journey pour les pratiques spirituelles amazoniennes ou encore l’Infini pour l’Espace au Centre Phi), ou animaliers (ex. The wild Immersion au Jardin acclimatation, Extended Reality World au Zoo d’Amnéville…), facilitant la diffusion de messages autour du développement technique et écologique. Les sites patrimoniaux (beaux-arts, histoire, architecture…) utilisent davantage la réalité virtuelle pour renouveler le regard des visiteurs sur l’art et l’histoire. Ainsi, de nombreux projets de reconstitution de lieux historiques ont vu le jour (ex. Pompéi VR au Grand Palais, l’expérience VR mettant en scène le Théâtre antique d’Orange, l’Horizon de Khéops à l’IMA, Chambord 360° au château de Chambord, The Dawn of Art sur la Grotte Chauvet) ainsi que de contextualisation augmentée d’œuvres artistiques (ex. la série de productions numériques Arte Trips s’appropriant des tableaux en VR, comme les Nymphéas de Claude Monet en lien avec Musée de l’Orangerie). Enfin, les salles de spectacle vivant utilisent, quant à elles, l’immersion pour développer des nouvelles expressions artistiques en lien avec le numérique (ex. VR-I de la Compagnie Gille Jobin, Le Bal de Paris par Bianca Li de Eve, la danse est un espace sans lieu produit par la Compagnie Voix).
→ Pour en savoir plus, lire notre article LA RICHESSE DE L’IMMERSION NUMÉRIQUE FACE A LA DIVERSITÉ DES LIEUX CULTURELS (LIEUX SCIENTIFIQUES, PATRIMONIAUX, SPECTACLE VIVANT) ?
2. Comment intégrer une expérience immersive dans un espace muséal ?
On imaginait une loggia au dernier étage d’un palais, mais on s’est aperçu que le socle horizontal sur lequel sont posées les colonnes était très bas, du coup ça aurait été trop dangereux. Il a donc fallu imaginer une loggia de rez-de-chaussée. On s’est inspiréS d’un dessin qu’on a trouvé dans les carnets de Léonard.
Louis Frank, conservateur en chef aux Arts graphiques, à propos de l’installation immersive En tête-à-tête avec la Joconde (source)
La réalité virtuelle ou augmentée nécessite une installation scénographique adaptée. Si l’immersion n’est pas nouvelle (ex. les peintures circulaires du XVIIème, le Sensorama…) ni même l’usage de la réalité virtuelle (ex. l’œuvre de Maurice Benayoun dans les années 90), sa multiplication dans les établissements culturels impose une juste articulation entre le lieu physique et l’expérience immersive. Cette dernière peut être en lien étroit avec le parcours de visite (ex. Revivre au MNHN, Verdun, Paysage de guerre, paysage de paix au Mémorial de Verdun), en complément avec le parcours de visite (ex. l’installation immersive au Paléosite de Saint Césaire), en articulation avec des expositions temporaires (ex. La bibliothèque, la nuit à la BNF, L’Horizon de Khéops à l’IMA) ou encore hors-les-murs (VR TO GO au Centre Phi). Des liens variés qui donnent du sens aux collections en favorisant une approche plus sensorielle et poétique avec les visiteurs.
3. Comment monétiser une expérience immersive ?
Nous voulions proposer in situ de la VR, mais la conception et le développement d’outils de médiation avec cette technologie est très chère. Nous avons eu l’idée de passer par Ubisoft en rachetant les droits d’utilisation de Far Cry Primal. Une manière de disposer d’images de synthèse professionnelle tout en faisant des économies.
Vincent Armitano-Grivel, directeur du Paléosite de Saint-Césaire à propos d’une installation immersive inspirée de Lady Sapiens
Selon une étude de Museum Boost, 23% des 200 lieux culturels interrogés génèrent déjà des revenus avec des outils numériques. Un lieu culturel peut proposer gratuitement une expérience dans le cadre de ses missions auprès de ses publics. L’expérience sera alors intégrée avec les autres offres culturelles de l’établissement, c’est-à-dire incluse dans un billet d’entrée pour un parcours permanent (ex. L’expérience Verdun – paysage de guerre – paysage de paix au Mémorial de Verdun, le dispositif en réalité augmentée au Musée des Plans-Reliefs, Virtual Veronese à la National Gallery de Londres) ou pour une exposition temporaire (ex. Modigliani VR lors d’une exposition à la Tate Modern, Pompéi VR lors d’une exposition au Grand Palais, l’expérience VR Alienarium dans l’exposition Alienarium 5 à la Serpentine Gallery).
D’autres expériences sont accessibles aux visiteurs pour un coût supplémentaire. Une première approche est de mettre directement à contribution les visiteurs pour découvrir des expériences autonomes sous la forme d’expositions (ex. L’Horizon de Khéops à l’IMA, La Bibliothèque la Nuit à la BNF ou Artic 2100 – The virtual Expedition aux Ateliers des Capucins). Une deuxième approche consiste à intégrer une expérience immersive en complément à un billet d’entrée (ex. la visite virtuelle du théâtre antique d’Orange) ou de façon couplée à celui-ci (ex. le Cabinet de réalité virtuelle au MNHN, L’Odyssée à la Bibliothèque de Sélestat, l’expérience 360° du Musée Vodou). Pour pallier aux divers coûts inhérents à la conception et l’exploitation d’une œuvre immersive, les coûts liés à la conception peuvent être mutualisés et les coûts d’exploitation couverts par une politique tarifaire adaptée (ex. Lady Sapiens au Paléosite), voire, générer des revenus.
→ Pour en savoir plus, lire notre article COMMENT MONÉTISER UNE EXPÉRIENCE IMMERSIVE DANS UN LIEU CULTUREL ?
Je vois une évolution encourageante au niveau de la couverture médiatique. Quand nous avons commencé, nous ne proposions pas des expositions à part entière. C’était plutôt un jardin VR avec deux ou trois fauteuils. À ce moment-là, les journalistes que j’invitais à venir ne semblaient pas penser que leur public serait intéressé. Or, plus récemment avec des expériences comme Carne y Arena et L’infini on voit une réelle évolution; c’est le jour et la nuit. C’est un changement important, car les médias jouent un rôle décisif dans l’évangélisation du domaine.
Myriam Achard, Chef Partenariats nouveaux médias et relations publiques au Centre Phi (source)
Différents supports existent pour promouvoir une offre culturelle immersive auprès des futurs visiteurs. Des bonnes pratiques à initier en ligne et in situ permettant de toucher les publics habituels d’un lieu culturel. En ligne, le site internet est la porte d’entrée des visiteurs autant pour présenter une expérience (ex. l’Odyssée de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat) ou pour inciter à la réservation et l’achat via la billetterie en ligne (ex. Revivre au MNHN, Le Bal de Paris, VR_I de la Compagnie Gilles Jobin, l’Infini pour sa tournée aux États-Unis). Des outils internes aux établissements permettent, par le biais de jeux concours, d’infolettres, de données issues de la billetterie ou de modules d’inscription à des événements, d’inviter les visiteurs à partager des informations pour mieux leur cibler la communication (ex. Éternelle Notre-Dame). Sur les réseaux sociaux, de nombreux lieux immersifs mettent en avant les retours d’expérience des visiteurs via des interviews ou de captations des réactions (ex. IDEAL, Virtual Room, DreamAway). In situ, la communication peut être complétée par de la documentation et supports print (brochures, flyers, affiches, dépliants…) visibles depuis l’accueil du lieu culturel (ex. Musée de la Guerre 1870 pour leurs tablettes en réalité augmentée, l’Atelier Bourdelle au Musée Bourdelle ou Insurrection 1944 au Musée de la Libération).
Pour développer des nouveaux publics, un ensemble de partenaires peuvent être mobilisés pour diffuser, auprès de leurs publics et communautés, la promotion d’une expérience culturelle. Avec les partenaires institutionnels, des kits de communication peuvent être déployés pour accroître la visibilité d’une expérience sur un territoire (ex. la Citadelle Souterraine de Verdun et son parcours de visite permanent en RA, l’installation VR du Paléosite de Saint Césaire). D’autres communautés peuvent être touchées par l’intermédiaire d’influenceurs ou des visiteurs eux-mêmes sur les médias sociaux (ex. Éternelle Notre-Dame, Musée de l’Ordre de la Libération). Enfin, différents outils, complémentaires entre eux, permettent de programmer une campagne publicitaire à impact national ou international afin de valoriser une expérience immersive auprès du (très) grand public (référencement, achat d’espace, relations presse).
→ Pour en savoir plus, lire notre article COMMENT COMMUNIQUER SUR UNE EXPÉRIENCE IMMERSIVE ?
On doit réfléchir à l’utilisation des technologies de façon critique. Il faut rester concentré sur le contenu que l’on va proposer. Il faut repenser la narration grâce aux technologies, mais celles-ci ont besoin d’un contenu de qualité.
Giulia Bini, curatrice à l’ArtLab de l’EPFL en Suisse (source)
Au même titre qu’un parcours de visite, qu’une exposition temporaire ou que des activités de médiation, une expérience immersive peut faire l’objet d’une évaluation. Premier niveau d’évaluation, la réalisation d’un diagnostic pour ajuster, éventuellement, une expérience immersive. Un audit des espaces et des aménagements spatiaux mis en œuvre peut être dressé pour analyser l’intégration de l’expérience immersive dans un lieu culturel (ex. Chambord 360° au château de Chambord). De même, une analyse comportementale des visiteurs peut être menée pour améliorer leur accueil et leur accompagnement. Un deuxième niveau d’évaluation a pour objectif de mieux connaître les publics – via l’analyse des données d’inscription et de la billetterie – ainsi que leurs pratiques – via des entretiens ou des sondages in situ ou en ligne. Dernier niveau d’évaluation, considérer l’apport d’une expérience immersive à un lieu culturel en termes de notoriété, de marque et de développement des publics en extrayant les données issues de nombreux outils (analyse des supports de communication, données billetterie, réservation, sondages, entretiens). Déterminante, l’évaluation permet ainsi d’identifier l’adéquation entre l’expérience des visiteurs et l’expérience prévue par les créateurs afin d’éventuellement procéder à des ajustements.
→ Pour en savoir plus, lire notre article COMMENT ÉVALUER UNE EXPÉRIENCE IMMERSIVE
La diversité et la qualité des expériences VR actuellement proposées dans de nombreux lieux culturels forment autant d’exemples inspirants qui démontrent tous les apports qu’elles offrent à un visitorat et aux lieux qui accueillent ce type de dispositifs. La mise en espace, la médiation, la monétisation, la communication ou l’évaluation de ces dispositifs, bien que spécifiques, font appel à autant de pratiques déjà existantes dans les lieux culturels. De nombreuses perspectives peuvent ainsi se dessiner pour élargir, diversifier et nouer de nouvelles formes de liens avec de nouveaux publics.
Antoine ROLAND et Baudouin DUCHANGE