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Comment monétiser une expérience xr dans un lieu culturel ?

« En l’espace d’un an, trois à cinq ans d’engagement numérique se sont écoulés. Le numérique a vraiment élargi les murs du musée de plusieurs façons » disait Franklin Sirmans, directeur du Pérez Art Museum Miami, un des premiers établissements à utiliser la réalité augmentée dans son parcours de visite. Dans cette perspective, 80% des 200 musées ayant participé au Baromètre de l’Innovation des Musées 2021 de Museum Booster considèrent que les nouvelles technologies contribueront au succès de leur institution au cours des trois prochaines années. D’autant plus particulièrement pour améliorer la pertinence de leur médiation (85%), diversifier leur audience (84%) ou créer de nouvelles sources de revenus (54%). Une évolution qui devrait perdurer puisque 21% des 200 établissements interrogés dans le cadre de ce baromètre ont actuellement recours à la réalité virtuelle, et 33% ont des projets en cours. Pour financer ces investissements ou pour générer de nouveaux revenus, les modalités de tarification sont nombreuses. Cet article propose de revenir sur cette diversité de modèles de tarification et les leviers envisageables pour optimiser tant les coûts de production que d’exploitation.

  1. Comment définir la tarification des expériences VR ?
Cas 1 – Proposer gratuitement une expérience VR (en inclusion d’un billet d’entrée)

INTÉGRATION DANS LE PARCOURS PERMANENT – Un lieu culturel peut proposer gratuitement une expérience de réalité virtuelle à ses publics intégrée à son parcours permanent. L’expérience est intégrée au billet d’entrée sans coût supplémentaire visible par les publics. C’est le cas du Mémorial de Verdun qui propose dans son parcours de visite une expérience en réalité virtuelle des champs de bataille avant, pendant et après la guerre. L’accès à l’expérience est ainsi intégré au billet d’entrée du musée (tarif plein : 12€ ; tarif réduit : 10€). 

INTÉGRATION DANS UNE EXPOSITION TEMPORAIRE – Un lieu culturel peut proposer une expérience gratuite dans le cadre d’une exposition temporaire (sur réservation ou en accès libre). C’est le choix qu’a fait la National Gallery en mars / avril 2022 avec Virtual Veronese (reconstitution en VR de l’environnement originel d’un retable du XVIème siècle). Bien que gratuite, cette expérience est réservable sur le site web de la Galerie pour les visiteurs ayant acheté un billet pour l’une des offres de l’établissement (parcours permanent ou expositions temporaires). Autre exemple d’une expérience VR, celle de Modigliani VR, dans le cadre de l’exposition temporaire éponyme de la Tate Moderne en 2017. L’expérience était visible par 3 500 visiteurs chaque semaine, sur un principe de « premier arrivé premier servi »,  l’exposition (en inclusion du billet d’entrée : 16£, sans donation 14,50£). Même stratégie au Grand Palais à l’occasion de l’exposition Pompéi en 2020, une expérience VR fut alors mise en avant sans coût supplémentaire autre que celui du billet d’entrée à l’exposition temporaire (Plein tarif : 14€ / Tarif réduit : 10€). 

Virtual Veronese à la National Gallery © The National Gallery, Modigliani VR à la Tate Modern, Pompéi VR au Grand Palais.
Cas 2 – Faire payer un tarif supplémentaire pour accéder à l’expérience VR.

D’autres expériences sont accessibles aux visiteurs avec un coût supplémentaire. Les expériences VR peuvent ainsi être mises en avant comme des offres autonomes. Elles peuvent être proposées en supplément ou couplées avec d’autres offres de visites d’expositions permanentes ou temporaires. 

LES EXPÉRIENCES VR COMMERCIALISÉES DE MANIÈRE AUTONOME AVEC UN TARIF DÉDIÉ 

Cette tarification permet de valoriser une expérience complète et inédite sur une durée conséquente, qui, à l’instar d’autres offres culturelles, peut trouver ses propres publics (potentiellement différents d’autres offres culturelles plus traditionnelles). C’est le cas par exemple de l’expédition virtuelle « L’Horizon de Khéops » présentée pendant 3 mois dans les espaces d’expositions temporaires de l’Institut du monde arabe. Le billet d’entrée est accessible sur la billetterie en ligne de l’IMA ou de la FNAC (29€ en plein tarif / 24€ en tarif réduit). Ce billet est vendu séparément du billet d’entrée du musée (8€ en plein tarif). Même procédé pour l’exposition physique incluant une expérience de réalité virtuelle La Bibliothèque la Nuit à la Bibliothèque Nationale de France. Le billet de l’exposition devait être réservé à l’avance en ligne, à la FNAC ou sur place le jour de la visite (plein tarif : 10.60 euros / tarif réduit : 8.60 euros). Dernier exemple d’exposition temporaire réalisée avec une vocation événementielle très courte réalisée pour le week-end de mobilisation pour le climat (janvier 2022) :  Artic 2100 – The virtual Expedition aux Ateliers des Capucins à Brest avec le centre océanographique Océanopolis. Accessible sur réservation en ligne ou sur place, l’expérience VR était proposée au tarif unique de 8€ (en continu de 11h à 18h – séance de 20 minutes pour 4 personnes). 

Ces trois exemples démontrent la forte variabilité des prix d’accès à une expérience VR. La politique tarifaire est ainsi définie tant par des coûts de conception et d’exploitation plus ou moins élevés selon la durée et la qualité de l’expérience, sa complexité technique, ses modalités de financement ou ses enjeux d’exploitation (aménagements scénographiques nécessaires, mobilisation de médiateurs, frais de communication, etc…)

3 types d’expositions temporaires incluant une expérience VR et une politique tarifaire, par conséquent, très distincte (Artic 2100 à droite – Arctic 2100 Animation VR © Oceanopolis, GreenHillStudio, L’Horizon de Khéops en haut à gauche – L’horizon de Khéops / Horizon of khufu © Emissive – Excurio, La bibliothèque, la nuit en bas à gauche – La bibliothèque, la nuit © Ex Machina / Robert Lepage).

LES EXPÉRIENCES VR COMMERCIALISÉES EN SUPPLÉMENT À UN BILLET D’ENTRÉE – Cette présentation de tarif permet de proposer une offre VR en complément (ou en option) d’une visite des collections permanentes ou  d’une exposition temporaire. Le Théâtre d’Orange a, par exemple, choisi de commercialiser la visite virtuelle du théâtre antique en complément : + 5€ au billet d’entrée du musée et du théâtre (10€ en plein tarif avec nécessité de réservation sur place avec des créneaux toute la journée). 

Articulation de la visite virtuelle du théâtre antique d’Orange avec les autres offres culturelles proposées

LES EXPÉRIENCES VR COUPLÉES AVEC D’AUTRES ACTIVITÉS

À l’inverse du Théâtre Antique d’Orange, la Grande Galerie de l’Évolution a opté pour la définition d’une offre couplée (offre normale 10€, et offre couplée avec l’une des expériences immersives 13€) pour mieux valoriser le Cabinet de réalité virtuelle et l’exposition RA permanente Revivre. Cette décision de coupler l’offre de visite permanente à l’expérience a aussi été prise par la Bibliothèque humaniste de Sélestat pour valoriser l’escape game VR « L’Odyssée ». Un billet d’entrée à 12 € réservable sur internet ou sur place permet de participer à l’expérience (3 par jour – 5 mois d’exploitation) et, ensuite, de parcourir librement les espaces d’expositions permanents. Si les visiteurs ne souhaitent pas faire l’expérience VR, un billet à 6€ est proposé. Un dernier exemple permet d’illustrer la variété du couplage envisagé : celui du Musée Vodou. Trois formules sont ainsi proposées pour bénéficier de l’expérience 360°  selon le mode de visite : 

  • En journée le samedi, la séance VR est à 8€ (un billet d’entrée au musée est alors accessible en ajoutant 10€ au lieu de 14€) ;
  • En soirée avec une visite guidée, l’expérience VR et une bière à 18€ ;
  • Sur réservation d’une séance privée pour 10 personnes (80€ la séance ; une visite guidée préalable est possible pour 11€ / personne).
Différentes options tarifaires peuvent être prises pour coupler une expérience VR en lien avec les modes de visite (Musée Vodou à gauche), avec un billet pour la visite permanente (cabinet de réalité virtuelle au Muséum national d’histoire naturelle / Odyssée à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat).

Différentes stratégies tarifaires peuvent être envisagées par les lieux culturels pour monétiser leurs expériences VR. Elles sont déterminées par  :

  • Le positionnement culturel de l’établissement (ex : la stratégie de notoriété développée par la bibliothèque Humaniste autour de l’innovation) ;
  • Les pratiques des publics (ex : déclinaison de l’offre proposée par le musée Vodou) ;
  • La volonté de promouvoir l’offre VR (ex : offre couplée du cabinet de réalité virtuelle) ;
  • La politique tarifaire de l’établissement (ex : offre du théâtre d’Orange proposée en supplément).

Ces offres tarifaires sont ainsi autant le reflet d’une stratégie de communication que d’une volonté de couvrir les coûts de production  et d’exploitation d’une expérience VR, voire, de dégager des revenus.

2. Comment optimiser les coûts de production et d’exploitation d’une œuvre immersive ?

Pour pallier aux divers coûts inhérents à la conception et l’exploitation d’une œuvre VR, de nombreux partenaires unissent leurs expertises afin de mutualiser les coûts de conception et dégager des revenus sur la diffusion. 

Mutualiser les coûts de conception. 

« Nous voulions in situ proposer de la VR, mais la conception et le développement d’outils de médiation avec cette technologie est très chère. Nous avons eu l’idée de passer par Ubisoft en rachetant les droits d’utilisation de Far Cry Primal. Une manière de disposer d’images de synthèse professionnelle tout en faisant des économies ». C’est avec ces mots que Vincent Armitano-Grivel, directeur du Paléosite de Saint Césaire, évoque la stratégie partenariale mise en œuvre pour mutualiser au mieux les apports de chacun pour concevoir l’expérience VR Lady Sapiens. 

Amortir les coûts d’exploitation.

Le département de la Charente Maritime a financé l’acquisition du matériel informatique : 5 casques VR, 1 casque PMR, et a contribué à créer une scénographie engageante. 2 médiateurs ont aussi été recrutés pour gérer l’accueil des visiteurs (en moyenne, 78 visiteurs par jour s’essayent à l’expérience VR). Proposée à 5€ en complément du billet d’entrée, le flux de visiteurs permet ainsi de couvrir les salaires de ces médiateurs (affectés aussi à l’animation d’un escape game).

L’installation scénographique conçue pour l’expérience VR du Paléosite de Saint Césaire. « Lady Sapiens » au Paléosite de Saint-Césaire en Charente-Maritime. © Lucid Realities

Générer des revenus supplémentaires. 

Une analyse de l’ensemble des coûts d’acquisition et d’exploitation est essentielle avant d’accueillir une expérience immersive dans un lieu culturel : 

  • Coûts de licence, d’accès à un catalogue d’œuvres (ou de création d’une expérience immersive si le choix porte sur la conception d’un projet sur-mesure).
  • Coûts d’acquisition ou de location des casques ;
  • Aménagements éventuels des espaces : Installation dans un espace dédié, montage d’une exposition immersive temporaire…
  • Coût d’animation / médiation : accueil des publics, distribution et nettoyage du matériel, explication des consignes, gestion des flux…

Plusieurs montages économiques et juridiques existent pour encadrer les relations contractuelles et répartir les coûts et les bénéfices entre les partenaires. Des montages qui évoluent en fonction des apports et rôles de chacun des partenaires. Ces modèles juridiques et financiers, inspirés du secteur de l’audiovisuel sont adoptés pour monter des expériences immersives – créées, achetées ou louées – entre un lieu culturel et ses partenaires. Le financement d’une œuvre en réalité virtuelle ou augmentée nécessite en effet d’importants apports en numéraire, en nature ou en industrie pour lesquels le recours à plusieurs contributeurs est nécessaire. Pour y remédier, des partenaires s’allient sous les formes de coproduction (association des ressources et répartition des risques de conception, d’exploitation et de distribution), de logique de préachat (acquisition des droits de diffusion en amont de la conception) ou encore des logiques d’achat de droits et de licences (acquisition de droit de diffusion en aval de la conception d’images ou d’expériences). 

La salle dédiée à l’expérience VR Chambord 360° dans le parcours de visite du château de Chambord

Ces différents schémas vont faciliter la diffusion d’une œuvre dans plusieurs autres lieux culturels afin de maximiser sa rentabilité. “Nous envisageons désormais une exploitation du film hors du Château de Chambord, dans des salles dédiées, sur des plateformes et sur le marché des spectateurs déjà équipés de casques de VR” disait Cécilie de Saint Venant à propos de l’expérience VR Chambord 360° dont leur partenaire avait pris en charge les frais de production, la réalisation, le montage, ainsi que le cachet des deux narrateurs tandis que le Château avait investi dans l’acquisition d’une soixantaine de casques VR. L’expérience peut aussi être intégrée au catalogue d’œuvres VR d’un distributeur qui aura à charge, à titre exclusif ou non, d’élaborer une stratégie de distribution, de marketing et de communication dans les lieux d’accueil tiers (festivals, lieux accueillant des publics, etc.) ou en ligne (plateforme de diffusion de contenu VR, etc.). 

La mutualisation des apports permet aujourd’hui à des lieux culturels de concevoir et/ou recevoir clef en main des œuvres VR ambitieuses. Les stratégies de tarification varient selon que l’expérience complète la médiation d’un parcours permanent, augmente l’attractivité d’une exposition temporaire ou ajoute une nouvelle offre culturelle innovante dans leur programmation. La billetterie peut permettre de rentabiliser directement l’investissement initial réalisé par un lieu culturel. Des logiques de distribution permettent aussi de générer des revenus en développant une politique de diffusion hors les murs. Des logiques à prendre en compte dans une stratégie de monétisation d’une expérience VR par un lieu culturel. 

Antoine Roland et Baudouin Duchange

Categories: Étude de marché
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